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  • François 1er

    François 1er

    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/02/07/francois-ier-le-roi-du-coton-bio-100-burkinabe_6069111_3212.html

    François Ier, le roi du coton bio 100 % burkinabé

    Le crĂ©ateur François YamĂ©ogo a inaugurĂ© une fabrique textile en 2018 Ă  Koudougou, une raretĂ© au Burkina Faso oĂč l’essentiel de la production est exportĂ© brute.

    Par  (Ouagadougou, correspondance)

    Dans la boutique du créateur François Yaméogo, le 28 janvier, dont la marque, François Ier, a pignon sur rue à Ouagadougou. Dans la boutique du créateur François Yaméogo, le 28 janvier, dont la marque, François Ier, a pignon sur rue à Ouagadougou. SOPHIE DOUCE POUR "LE MONDE"

    LETTRE DE OUAGADOUGOU

    Dans l’atelier de « François Ier », les ouvriĂšres font chanter leur mĂ©tier Ă  tisser. « Clic clac rikiti, clic clac rikiti ! » Les pieds battent la cadence sur les pĂ©dales, un bras tire la poignĂ©e de la canette, l’autre ramĂšne le « peigne ». Le va-et-vient effrĂ©nĂ© de la bobine marque le rythme d’une musique lancinante. Virevoltant tout autour, le crĂ©ateur François YamĂ©ogo, son vrai nom, en est le chef d’orchestre. Il guide d’un doigt, touche les tissus, repĂšre le moindre accroc. « Tout doit ĂȘtre parfait ! », insiste le Franco-BurkinabĂ© dans son usine semi-industrielle de Koudougou, Ă  100 kilomĂštres Ă  l’ouest de Ouagadougou.

    InaugurĂ©e en 2018, elle est la premiĂšre fabrique de textile bio du pays. Le Burkina Faso, pourtant quatriĂšme producteur sur le continent africain, exporte la majoritĂ© de son coton brut en Asie. Un constat qui a poussĂ© François YamĂ©ogo Ă  investir dans la filiĂšre locale, en crĂ©ant une ligne de vĂȘtements en coton bio entiĂšrement confectionnĂ©e au Burkina Faso. Cet ancien grossiste du Sentier rĂȘve de faire du faso dan fani – littĂ©ralement « pagne tissĂ© de la patrie » en langue dioula – le tissu traditionnel burkinabĂ©, un « produit d’excellence » et compĂ©titif sur le marchĂ© international.

    A dix heures du matin, l’usine de Koudougou est dĂ©jĂ  en Ă©bullition. Dans une cour, des femmes s’agitent autour de marmites fumantes, nettoient le coton et le plongent dans des bacs de teinture. Sous un auvent, d’autres embobinent le fil sur un rouet en bois, tissent puis cousent les vĂȘtements sur de vieilles machines Ă  coudre. Du tissage Ă  la confection, tout est fait Ă  la main par les employĂ©s, principalement des tisserandes artisanales de la rĂ©gion. Pour le fabricant de mode, valoriser le savoir-faire burkinabĂ©, c’est « crĂ©er de l’emploi local, permettre Ă  ces femmes de vivre dignement et lutter contre la transformation du coton Ă  l’étranger ».

    Cotons bio certifiés Ecocert

    François YamĂ©ogo s’approvisionne auprĂšs de producteurs biologiques locaux, certifiĂ©s du label bio Ecocert, qui rĂ©coltent Ă  la main et cultivent sans pesticides ni engrais chimiques. Avec ses 50 employĂ©s, dont 40 femmes, et une centaine d’emplois indirects gĂ©nĂ©rĂ©s, la structure tente de s’imposer comme un « modĂšle d’économie solidaire ».

    Un Ɠil sur son ouvrage, l’autre sur sa petite de 4 ans endormie Ă  ses cĂŽtĂ©s, Marie YamĂ©ogo, 34 ans, est ravie. « Avant c’était difficile, il fallait chercher les clients, maintenant ce travail m’assure un revenu rĂ©gulier et m’aide Ă  soutenir ma famille », glisse cette mĂšre de trois enfants. FormĂ©e par le styliste, elle gagne dĂ©sormais 1 000 francs CFA (1,52 euro) le mĂštre tissĂ©, une vingtaine d’euros en moyenne par jour, le double des prix du marchĂ©.

    Le travail Ă  la piĂšce permet Ă  la structure d’ĂȘtre compĂ©titive et flexible, assure son dirigeant, estimant son chiffre d’affaires Ă  quelque 50 millions de francs CFA (76 224 euros) par an. Chaque jour, l’usine fabrique environ 250 mĂštres de tissu. Soit une centaine de chemises et environ 12 000 cache-nez, son « plus gros marché », prĂ©cise M. YamĂ©ogo qui a Ă©galement fabriquĂ© un demi-million de masques en coton depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie.

    Avant de devenir le « roi du coton bio », François YamĂ©ogo a pourtant dĂ» se battre. Il lui aura fallu cinq ans pour atteindre l’équilibre, dix ans pour engranger des bĂ©nĂ©fices. D’ailleurs, quand il dĂ©cide de « tout plaquer » et de revendre ses quatre boutiques parisiennes pour lancer sa marque en faso dan fani en 2007, aprĂšs trente ans de carriĂšre dans l’industrie du textile en France, ses amis le traitent de « fou ». Il fait alors figure de pionnier. « Personne ne comprenait pourquoi je voulais investir dans le coton burkinabĂ©, les jeunes portaient surtout du synthĂ©tique, des fripes venant des conteneurs de l’Occident. Le tissu traditionnel Ă©tait considĂ©rĂ© comme vieillot », se rappelle François YamĂ©ogo, qui s’est Ă©galement engagĂ© contre le projet de coton transgĂ©nique de Monsanto au Burkina, lequel fut finalement abandonnĂ© en 2016.

    A Koudougou, l’usine de fabrication d’étoffes bio de François YamĂ©ogo, crĂ©ateur de la marque burkinabĂ©e François Ier, compte 50 employĂ©s, dont 40 tisserandes artisanales. A Koudougou, l’usine de fabrication d’étoffes bio de François YamĂ©ogo, crĂ©ateur de la marque burkinabĂ©e François Ier, compte 50 employĂ©s, dont 40 tisserandes artisanales. SOPHIE DOUCE POUR "LE MONDE"

    Le pays produit environ 600 000 tonnes de coton graine – une activitĂ© qui reprĂ©sente 65 % des revenus des mĂ©nages ruraux –, mais seulement 2 % sont transformĂ©s sur place. Face Ă  la concurrence asiatique, l’ancienne usine textile du pays Faso Fani avait Ă©tĂ© placĂ©e en liquidation judiciaire en 2001. Une « aberration », fustige le styliste, qui commence par s’approvisionner auprĂšs de coopĂ©ratives de femmes tisserandes. Mais le rendement est trop faible. « La seule solution, conclut-il, est de contrĂŽler toute la chaĂźne de fabrication. »

    Pour crĂ©er son usine, faute de subventions, il doit investir toutes ses Ă©conomies (environ 200 000 euros) et s’endetter. Si, depuis, ce « combat » lui a valu d’ĂȘtre dĂ©corĂ© de la mĂ©daille de l’ordre du MĂ©rite, le crĂ©ateur continue de regretter « le manque de financements » pour la crĂ©ation d’entreprises.

    « Chic à la française »

    Pour François YamĂ©ogo, le faso dan fani est plus qu’un tissu. C’est un patrimoine, une fiertĂ©. L’ancien prĂ©sident rĂ©volutionnaire Thomas Sankara (de 1983 Ă  1987) en avait mĂȘme fait un symbole de patriotisme et d’émancipation des femmes, allant jusqu’à imposer par dĂ©cret Ă  ses fonctionnaires de s’en vĂȘtir. Depuis, l’étoffe a peu Ă  peu reconquis le cƓur des BurkinabĂ©s, et sĂ©duit mĂȘme au-delĂ  des frontiĂšres, en CĂŽte d’Ivoire, en France et jusqu’aux Etats-Unis.

    Coupes modernes, lignes Ă©purĂ©es et tons pastel : le style « François Ier » mĂ©lange les cultures, s’inspire du « chic Ă  la française », des coupes Saint Laurent et des couleurs et matiĂšres de son pays natal. « Ça m’a toujours choquĂ© de voir certains Occidentaux porter nos tissus africains comme des dĂ©guisements bariolĂ©s, puis les jeter une fois rentrĂ©s parce qu’ils ne pouvaient plus les porter chez eux », confie l’autodidacte, qui coud depuis l’ñge de 15 ans.

    Dans la fabrique textile de François Yaméogo, à Koudougou, au Burkina Faso, en janvier 2020. Dans la fabrique textile de François Yaméogo, à Koudougou, au Burkina Faso, en janvier 2020. SOPHIE DOUCE POUR "LE MONDE"

    Avec des chemises Ă  30 000 francs CFA piĂšce et des tailleurs Ă  75 000 francs CFA, la maison propose du haut de gamme. Mais pour celui qui habille le prĂ©sident et de nombreuses cĂ©lĂ©britĂ©s burkinabĂ©es, seule la qualitĂ© peut « perdurer ». Afin de protĂ©ger cet hĂ©ritage des multiples contrefaçons, François YamĂ©ogo a mĂȘme obtenu la crĂ©ation d’un label « faso dan fani » en 2019. Infatigable, le sexagĂ©naire rĂȘve maintenant de cultiver ses propres champs de coton et de « montrer au monde le savoir-faire burkinabé » en ouvrant des boutiques en France et aux Etats-Unis.